Élise, la colère de Dieu
Le monstre de la vérité
Trois siècles à peine nous séparent des camisards et de leurs ennemis. Que nous le voulions ou non, nous portons encore en nous cet héritage de feu et de sang. Lorsque nous voyons, aujourd’hui, des sunnites et des chiites s’entre-tuer, au moins une fois par semaine, pour la raison – qui sans doute en cache d’autres – qu’ils ne sont pas d’accord sur la correcte transmission de la parole du Prophète, nous pouvons encore nous étonner, et aussi nous effrayer.
Car ce que font les Irakiens, ou les Syriens, ou les Yéménites, nous l’avons fait. Sans doute en serions-nous encore capables {…}
Le monstre de la vérité repose encore en nous, faussement anesthésié par nos lois, n’attendant qu’une occasion nouvelle pour sortir de sa léthargie. Aussi devons-nous sans cesse être prudents, méfiants même, et d’abord à l’égard de nous- mêmes.
— Jean-Claude Carrière

Contexte historique
Un seul roi, une seule loi, une seule foi
Le 18 octobre 1685, la révocation de l’édit de Nantes vient conclure une période de terreur par laquelle Louis XIV, dans sa volonté d’unité, a obtenu la conversion de tous les protestants de France au catholicisme.
Ce coup de grâce parachève presqu’un siècle de dissuasions, d’intimidations, de spoliations, et enfin de persécutions du peuple réformé.
L’édit commande, entre autres, l’interdiction des assemblées, la démolition des temples, le départ des pasteurs hors du royaume, l’interdiction pour tous les autres de quitter le pays sous peine de confiscation de biens, de galères, de prison ou de mort, l’obligation d’assister à la messe, le baptême romain pour les enfants et leur éducation dans les principes de la religion catholique.
Le royaume de France se composera désormais d’anciens catholiques et de nouveaux : les nouveaux convertis. Ces derniers doivent renoncer à leur foi, croire autrement, admettre qu’il ont été élevés dans l’erreur, et que leur Dieu, en fait, n’est pas le bon. C’est ce que René Allio (réal. du film «Les Camisards» 1972), appelait une entreprise de déculturation.
Toutefois, bien conscient que cette génération persécutée, convertie « par la bouche et non par le coeur », ne sera jamais tout à fait acquise au catholicisme, le pouvoir fonde ses espoirs sur la génération suivante qui, éduquée dans « la vraie religion », devrait produire des catholiques acceptables.
En pays de Cévennes, les choses tournent autrement.
Certes, les enfants nouveaux convertis reçoivent bien une éducation catholique pendant le jour, mais les parents continuent de leur transmettre, la nuit venue, la religion à laquelle ils sont restés secrètement fidèles.
C’est ainsi qu’en 1702, dix sept ans plus tard, la révolte des Cévennes éclate, organisée par des bandes de jeunes paysans saturés de bible et de colère.
Ils prêchent, prophétisent en état de transe, affrontent les troupes royales dans une guérilla d’inspirés, avec pour seule et unique revendication : la liberté de conscience !
On les appelle les camisards.
Note d’intention
Le monde où nous vivons
« Opposer de méchants catholiques persécuteurs à d’héroïques protestants inspirés n’est pas mon propos. D’un côté comme de l’autre, les tueries se sont égalées en cruauté. Ici, le premier à jouer son vrai rôle est le théâtre lui-même, en traitant de l’humain, en parlant de peur, de fièvre, de transe, de doute, de contradictions et de la sincère conviction de tous, agressés comme persécuteurs ; le dieu catholique ou l’éternel huguenot n’étant que des personnages comme les autres.
ÉLISE, LA COLÈRE DE DIEU se passe à une époque de violence d’état rarement atteinte de la part d’un roi envers une part de ses sujets ; un temps où la violence religieuse explose : on emprisonne, on torture, on exécute par impuissance à convaincre ; une période où les libertés, progressivement rognées depuis presqu’un siècle, sont radicalement supprimées ; où l’exil est interdit et la conversion à la religion du roi s’impose par la terreur. Une violence similaire à celles qui sévissent à un saut d’avion de chez nous; à cette autre qui tue encore des prêtres, des professeurs, des dessinateurs ou les spectateurs d’un concert. À ces mêmes libertés qui perdent toujours du terrain, qu’elles soient de conscience, de s’exprimer, de dessiner, de circuler. À ces fugitifs, qu’on appelle aujourd’hui migrants, qui subissent l’arrachement à la terre, les dangers et la dignité perdue.
Et enfin, à ce peuple, dont fait partie Élise, ces «exilés de l’intérieur» qui n’ont pas les moyens de l’exil, ni vocation à se battre, qui vivent «au désert», cachés dans la montagne après la perte de leurs biens, souffrants de la faim, hors-la-lois pour avoir prié dans les bois.
Quand la fiction s’intéresse à l’Histoire, c’est souvent qu’elle éclaire notre temps. C’est la première raison de mon attirance pour cette période confidentielle de l’Histoire de France. La seconde est que la légende des « camisards » a hanté mon enfance cévenole, et que chercher à en comprendre le sens m’a sans doute, par la suite, apporté un éclairage sur les autres conflits du monde.
Enfin, lorsque les évènements passés donnent l’impression de refléter une part de notre actualité de manière troublante, le théâtre doit sans doute saisir comme une chance ce recul qui lui permet d’élaborer une fable. »

Lionnel Astier
Auteur de la pièce
Intentions de mise en scène
Enfant, mes grands parents me «trainaient» tous les ans au «rassemblement du désert». Au milieu d’un causse sec, jaune et calcaire, il y avait une petite forêt de chênes, compacte. C’était là. Une fois entrés dans ce bosquet, nous étions à l’abri du vent et de la vue de tous. Il y avait des rochers sur lesquels grimpaient des hommes en noir, qui nous parlaient. C’étaient des pasteurs. Ce qu’ils disaient me semblait compliqué, mais ce qu’il me reste de ces moments c’est une émotion puissante, au milieu d’une nature sauvage, des paroles d’humanité partagées par un auditoire captivé. Avec du recul je peux dire que c’était là mes premiers émois de spectateur de théâtre.
Évidemment à la création de la Nuit des camisards, ce souvenir du pèlerinage protestant, ce rassemblement au désert m’a inspiré le principe du spectacle. Il se jouerait en pleine forêt, sans éléments décoratifs, avec très peu d’artifice : pas de scène, pas de gradins ni de chaises pour les spectateurs, pas de projecteurs apparents, seulement une immense boule lumineuse suspendue au centre de l’espace, comme une lune. Deux chemins qui, à leur intersection, donnent une croisée des chemins. Les camisards pour se rencontrer clandestinement en forêt devaient faire des kilométres, et se retrouvaient dans des clairières, sur des serres, toujours à des croisées de chemins.
Les spectateurs assis à même le sol, disposés de part et d’autre des chemins, se retrouvent alors dans une proximité physique rare au théâtre. Pour les acteurs, pas de frontal, mais du 360°, partout autour des spectateurs, et la forêt.
Nous avons éprouvé ce principe, et outre le fait qu’il s’adapte parfaitement à toutes les clairières où nous avons joué, il mobilise acteurs et spectateurs dans une énergie et une écoute commune.
Élise, la colère de dieu, a été écrite autour de ce même principe scènographique, dans la continuité de la Nuit des camisards.
C’est ici le temps de la guerre, et nous retrouvons les chemins, empruntés par les dragons, empruntés par les camisards. Chemins de l’exil pour ceux qui fuient le conflit.
Élise, la colère de dieu, nous fait entrer dans une nouvelle dimension. Il y a eu des morts et les vivants sont là pour les venger. Il y a du sang sur scène. Il y a des coups de feu. Il y a des meurtres.
Face au concret de la guerre, des combats et des affrontements, il y a du fantastique, de l’onirique. Le spectre revient visiter sa mère, un groupe de camisards fantomatique croise les vivants. Lucie, la soeur d’Élise, erre dans sa mémoire entre enfance et vision prémonitoire, elle flotte entre les vivants et les morts.
La dimension toute shakespearienne de ce texte nous fera utiliser des effets spéciaux : décapitations, marche sur des braises, spectre sans tête… les forêts où nous jouons doivent réveiller les fantômes qui y sommeillent.

Gilbert Rouvière
Metteur en scène
Une production ZINC THEATRE
Équipe de création
Lionnel Astier
Gilbert Rouvière
Valérie Gasse
Sarah Guittard
Clément Hubert
Gaspard Gauthier
Thibault Gaigneux
Frédéric André
Fabrice Buzzi
Carole Mir
Juliette Augy
Stéphane Randon
Distribution
Gabriel Rouvière
Frédéric Borie
Nicolas Oton
Mireille Roussel
José Drevon
François Macherey
Massimo Riggi
Frédéric André
Alexandre Charlet
Sabine Moindrot
Thomas Trigeaud
Jean-Marie Frin
Les rencontres d’avant spectacles sont organisées par Théâtre en Forêt.
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